Thursday, 8 September 2016
Au Brésil, le Parti des travailleurs doit-il disparaître ?
Outro registro da circulação colaborativa de
publicações, desta vez no altereco+plus de artigo originalmente publicado, em
abril de 2016, na Asuntos del Sur.
Primeira vez que me vejo traduzido em francês :)
ALEKSANDER AGUILAR
- 22/04/2016
La procédure de
destitution de la présidente brésilienne Dilma Rousseff, qui s’apparente à un
coup d’Etat, sera menée jusqu’au bout par la coalition qui l’a lancée. Cette
coalition mêle des milieux d’affaires, des parlementaires, des médias et des
magistrats. Si la procédure aboutit, elle engendrera des conséquences graves et
durables pour l’Etat de droit démocratique du Brésil et pour toute l’Amérique du Sud. Pourtant,
face à cette crise politique profonde, certains espèrent encore «sauver »
l'identité du Parti des travailleurs (PT). Les identités politiques, cependant,
ne sont ni fixes, ni stables pour pouvoir être ainsi simplement « sauvées ».
Un front contre la
dictature
Le Parti des travailleurs, qui selon l’expression de
Luis Inacio Lula da Silva, son principal représentant se flatte d’être « la plus grande et la plus aboutie des
organisations de gauche latino-américaines » est né en février 1980 et a longtemps
fonctionné comme un vaste front au sein duquel ont cohabité des groupes de
différentes origines et orientations idéologiques, toujours assimilés au champ
politique présumé de la gauche. Un champ qui s’est constitué durant les dernières
années de la dictature et contre celle-ci.
Mais aujourd’hui, après 36 ans d’existence et quatre
victoires successives lors des élections présidentielles, le Parti des
travailleurs n’existe que parce Luis Inacio Lula da Silva lui-même existe. Des
récents sondages sur les intentions de vote désignent Lula comme le favori pour l’élection présidentielle de2018, confirmant que le parti dépend d’abord de son nom. Cette situation ne
découle pas simplement des circonstances, mais résulte de la volonté délibérée
du parti et de ses choix.
Durant toutes ses années à la tête du pouvoir fédéral,
le PT s’est tellement consacré à bâtir sa fameuse « gouvernance », sans rénover
dans le même temps ses cadres et ses dirigeants, que tout son héritage en
matière de projet national s’est dilué. En cause, le manque patent
d’autocritique qui a marqué son exercice du pouvoir. Cette erreur risque aujourd’hui de provoquer sa
disparition.
Concessions
éthiques
Dans un exposé sinueux, André Singer, politologue,
journaliste, et porte-parole de la présidence durant le premier gouvernement de
Lula, confirme cette analyse quand il écrit que le lulisme est dans le coma,
mais qu’il n’est pas encore mort. Le PT semble en effet chercher une issue à
son affaiblissement chronique dans un nouveau recours à Lula, mais en retombant
dans la même erreur méthodologique que celle de ses seize années de
gouvernement. C’est-à-dire en évitant de mettre en oeuvre des réformes
structurelles et en continuant à faire des concessions, y compris (et même
surtout) éthiques.
Ces concessions, il les a faites dans le passé à
l'industrie agro-alimentaire et aux géants internationaux du bâtiment qui ont
diffusé la « culture de la corruption » et qui ont assuré la croissance
économique du pays à un coût social terrible. Il les a faites également aux
partis politiques néo-pentecôtistes, présents au Parlement, qui ont fait
reculer les droits humains et sociaux.
Le PT s’est également montré très accommodant avec les
grands groupes médiatiques (ceux-là mêmes qu’ils critiquent aujourd’hui à cause
des accusations portées contre lui). Des groupes auxquels il a concédé des
budgets publicitaires considérables pour esquiver le débat sur la nécessaire
démocratisation des moyens d’information. Enfin, plus récemment, le PT n’a pas
hésité à proposer sans vergogne de plus en plus de postes gouvernementaux à la
droite nouvelle et traditionnelle (son alliée depuis le premier gouvernement
Lula, en réalité) en échange de votes contre la procédure de destitution de
Dilma Rousseff.
Changement lent
André Singer reconnaît que Lula et le PT n'ont jamais
été préoccupés par la transformation des règles du jeu politique, mais qu’ils
ont cherché à tout prix à devenir un acteur pertinent dans ce paysage. A ses
yeux, l’idée que des réformes structurelles auraient pu être réalisées dans le
pays pendant le boom des matières premières qui a assuré le succès des
gouvernements Lula est une idée «abstraite » car le modèle défendu par le leader du PT a toujours prôné uneméthode de changement très lent, par la marge.
De manière délibérée, les gouvernements du PT n’ont
pas voulu créer les conditions matérielles qui permettent de forger un projet
national. Ils se sont transformés, aux côtés des élites traditionnelles, en otages
de leur propre succès. Le PT a bâti une présumée intégration sociale fondée en
réalité sur la consommation, et non pas sur une véritable citoyenneté,
convaincu que tout irai bien tant que les pauvres seraient de moins en moins
pauvres, mêmes si les riches devenaient de plus en plus riches.
Au lieu de
modifier l'équilibre du pouvoir au Brésil, qui penche à l’évidence du côté des
élites lesquelles maintiennent les inégalités et l'injustice sociale en
repoussant les réformes indispensables (propriété de la terre, loi électorale,
démocratisation des médias…), le parti a préféré continuer à jouer à « Games of
Thrones », un jeu dans lequel soit on vainc, soit l’on meurt.
Le Lulisme et PT
sont donc en train de mourir aujourd’hui. Le parti, en vertu de la fameuse «
habileté » politique de Lula, a préféré payer un prix absurde pour conserver
ses honteux alliés au nom d'une prétendue realpolitik, plutôt que de gouverner
avec le peuple, comme l’affirme LuizaErundina, députés fédérale et figurereconnue sur la gauche dit Brésil, c’est-à-dire en formant une alliance,
efficace avec la société civile.
L’aspect le plus
pathétique de ce choix est que ses « alliés » de près de 20 ans contre lesquels
il avait pourtant été mis en garde, y compris depuis l’intérieur du PT lui-même
montrent aujourd’hui, à travers la procédure de destitution, qu’ils n’ont
jamais vu dans le parti qu’un allié tactique qui leur a permis de garantir et
de maximiser leurs profits pendant la décennie de boom des matières premières.
Mais précisément
le capitalisme ne peut offrir une croissance économique stable, solide et
durable. La combinaison de la chute de l'économie mondiale et des lourdes
carences de la politique industrielle brésilienne ont mis un terme au cycle
néo-libéral de l’insertion internationale du pays. En n’étant plus utile aux
intérêts des élites et en ne bénéficiant plus par ailleurs de sa popularité
passée, le PT est devenu un outil obsolète, comme le montre la procédure de
destitution, aux allures de coup d’Etat, par laquelle les élites
traditionnelles cherchent à contourner l’Etat de droit.
C’est la leçon que
le PT doit encore apprendre : un parti politique ne constitue pas une fin en
soi. Et ces outils que sont les partis politiques s’usent, et du coup peuvent
ou même doivent disparaître.
Au centre-droit
En l'état, avec
son évidente orientation de centre-droit, le PT ne sert plus à personne aujourd’hui. Au vu de l’enfer que le
gouvernement vit en ce moment, le parti sait (ou devrait savoir) qu’il
n’obtiendra pas d’appui à droite. Et alors que le second gouvernement Dilma
Rousseff a clairement mis en œuvre une politique économique néolibérale, le
parti utilise maintenant la rhétorique du coup d’Etat mené contre lui pour
solliciter l'appui d'une "base" de gauche. Comme on l'a fait remarquer de manière critique Frei Beto, le PT ne
se souvient des mouvements sociaux que lorsqu’il doit éteindre un incendie…
Avec le même
réalisme dont il s’est tant glorifié ces dernières années, le gouvernement
devrait comprendre que c’est sur la gauche qu’il pourrait compter aujourd’hui
pour peu qu’il envoie des signaux montrant qu’il est prêt à mettre en œuvre un
programme progressiste, et même radical. Ce qui est en jeu au Brésil, ce n’est
pas le gouvernement du PT, ni son héritage. Les manifestations des 18 et 31
mars ont montré que les forces politiques de gauche, et pas seulement les
forces partisanes, sont prêtes à défendre le pays, à défaut de défendre le
gouvernement.
Ces défilés "
contre le coup d'Etat " ne sont pas historiques parce qu'elles étaient
favorables au PT, mais parce qu’ils ont regroupé les gauches brésiliennes
autour du slogan « A bas le réseau Globo » (NDLR : le plus grand groupe
brésilien de médias) ce qui ne s’était pas vu depuis trente ans, renforçant
ainsi leur revendication d’une démocratisation des médias de masse. Ce message
doit être respecté et compris.
Il reste peut-être
un dernier espace politique pour une réorganisation du PT en lien avec les
mouvements sociaux pour peu qu’il s’engage à réaliser au minimum le programme
qu’il avait mis en avant durant la campagne de l’élection présidentielle de
2014.
Dans le cas
contraire, le PT aura atteint ses limites. Par cohérence et par un sens minimal
de ses responsabilités, il devrait disparaître, devenir une référence du passé
et laisser germer la nouveauté.
Aleksander Aguilar
est journaliste et linguiste. Il coordonne la plateforme OISTMO
Cet article est
publié avec l’accord de Asuntos del Sur
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